Un retour à l’école après le confinement ?

Je sais que cet article fera sûrement polémique, mais j’ai eu besoin d’écrire.

On nous annonce un déconfinement progressif à partir du 11 mai, avec les écoles réouvertes dans la foulée. Hier je me suis amusée à écouter successivement les annonces du Premier Ministre, un interview de notre cher Ministre de l’Education, puis une intervention du maire de la ville dans laquelle je travaille. Puis, j’ai regardé les débats télévisés du soir. On nous dit tout, et son contraire. On est sûrs de tout, mais en fait de rien. Quand l’un dit blanc, l’autre dit noir. Chacun avance des arguments immédiatement contrariés par son voisin…Le débat tourne en rond et on n’a rien appris. On éteint la radio, la télé, et les interrogations demeurent.

Je vais donc te livrer ici mes ressentis de maman et de prof des écoles  (je sais que ca ne plaira pas à tout le monde mais après tout, tant pis!)

On a fermé d’abord les écoles, avant les commerces, avant les restaurants, avant de confiner tout le monde. On a enfermés les gens pour les protéger, et d’abord les enfants puisque considérés comme principaux vecteurs de la maladie en plus d’être souvent porteurs sains, sans symptômes. Et au moment de les libérer, surprise! On « libère » d’abord les enfants. Je veux bien reconnaitre que les connaissances médicales ont évolué…mais j’avoue avoir du mal à croire que finalement, les enfants seraient moins porteurs.

Bref, ok…il faut relancer l’économie, et pour faire revenir les parents au travail, on doit les libérer de leurs enfants. Ok je comprends.

OK c’est cool, les parents peuvent continuer l’école à la maison…c’est donc sur la base du volontariat. Ceux qui ont une solution de garde, ceux qui ne travaillent pas auront ce choix là. Uniquement…pas les autres, qui comme moi devront retourner au boulot. Ceux qui feront l’école à domicile décident de « protéger » leurs enfants, mais les autres devront leur faire courir des risques…normal…

Passons sur le fait que les enseignants qui seront à l’école  devront aussi continuer à préparer les cours de ceux qui resteront à domicile…passons sur les incertitudes, les questions qui demeurent et qui sont purement organisationnelles. Passons .. Pensons une minute aux parents qui, contraints de laisser leurs enfants à l’école, partiront au boulot avec la boule au ventre. Ceux qui ne sauront pas vraiment comment organiser leur semaine, leur temps de travail…surtout s’ils dépendent des horaires de la scolarité de leur enfant. Et imagine s’ils en ont plusieurs ! Alors oui je sais, il y a des gens qui n’ont pas peur de l’épidémie, ceux qui ne voient pas pourquoi les écoles ne réouvriraient pas, et qui pensent que les profs de toute façon, ont peur, ne pensent qu’à protester et ne veulent pas retourner bosser (tu remarqueras sans difficulté d’ailleurs que généralement ces gens la n’ont soit pas d’enfant, soit une solution de garde alternative). Mais ce n’est pas la peur qui pousse les profs à réagir : c’est la connaissance qu’ils ont du fonctionnement d’une classe, des enfants surtout en bas âge. Et cette connaissance leur fait dire que les mesures de précaution seront impossibles à mettre en place sauf à transformer les élèves en robots insensibles…

Bref, je ne suis pas là pour me plaindre, je ne t’écris pas pour t’expliquer que j’ai fait mon max pour assurer la continuité scolaire, pour, proposer chaque jour des activités variées à mes petits élèves, des moments de classe virtuelle…Il est vrai que je commençais à m’habituer à cette organisation que j’avais mis du temps à trouver. Bref bref…le 11 mai, on réouvre les écoles. Ok donc le 11 mai, je reprends le chemin de l’école. Sans problème en fait. Je m’attendais bien à reprendre…et, en plus,  je n’aimais pas du tout cette façon de terminer l’année sans dire au revoir aux enfants, leur rendre leurs affaires.

On entend l’avis des politiques, on demande celui des pédiatres, des pédopsychiatres, des parents…Mais un élément me perturbe…On ne se place quasiment jamais du côté de l’enfant. On sait que cette période a été traumatisante pour certains au vu de leur « conditions de confinement »… On sait que pour beaucoup, l’école, les copains (parfois même la maîtresse) leur manquent. Je comprends tout cela. C’est pour cela que j’essaie de maintenir un lien avec et entre mes élèves, et avec les copains et la maîtresse pour mes enfants. C’est certains, de nombreux enfants seront contents de retourner à l’école…d’avant. Du moins celle qu’ils ont connu avant…avant le confinement, avant le COVID 19, le coronavirus. Une école accueillante, amicale…maternelle justement.

Leur a-t-on expliqué ce que serait cette nouvelle école? Je vais te le dire en toute transparence puisque j’ai lu le « protocole sanitaire » : 63 pages pour nous expliquer comment il faudra désormais exercer notre métier…Voilà deux jours que je suis très contrariée et que j’ai décidé d’être honnête et de décrire aux parents (pour qu’ils préparent leurs enfants) cette école qui nous attend, et qui n’aura plus de maternelle…que le nom!

Voilà donc l’emploi du temps qui attend nos enfants ; je pense qu’ils ont le droit à la vérité… :

• Arrivée à l’école :

L’entrée des enfants est échelonnée pour ne pas avoir d’attroupements devant le portail (il faudra voir comment ça se passe pour ceux qui ont plusieurs enfants). Les parents n’ont pas le droit de rentrer dans l’école…tu imagines donc la difficulté pour mes petits élèves, qui d’ordinaire ont déjà parfois du mal à se séparer de Papa ou de Maman…(et après quasiment 2 mois passés à la maison!) Ils devront donc pénétrer seuls dans l’école…ce qu’ils n’ont jamais fait!

• Arrivée dans la classe :

L’enfant est accueilli par une maîtresse masquée (la sienne s’il a de la chance, mais ça peut aussi être une autre) qui ne peut pas le saluer comme d’habitude, qui n’a pas le droit de le consoler avec un câlin, ni de le rassurer en lui tendant la main.  On lui indique comment accéder à SON bureau, le chemin est tracé par terre. Il doit rester assis. 

Les jeux ont disparu (ou ils sont interdits d’utilisation). Pas de livres non plus d’ailleurs sauf s’il est apporté de la maison et qu’il reste sur son bureau ou dans son cartable. D’ailleurs, il doit avoir aussi SON matériel.

Il avait rêvé de retrouver ses copains ? La majorité d’entre eux n’est pas revenue. sinon, il doit se contenter de les voir…de loin! Pas question de s’en approcher pour lui montrer ses chaussettes Cars ou son bracelet Reines des Neiges.

Les contacts entre les enfants ne sont pas autorisés ; ils sont cloisonnés dans des coins, isolés sur des bureaux. Il ne faut pas se lever ; sauf pour aller aux toilettes et bien suivre le sens de circulation indiqué par terre. Tu imagines ce que cela signifie pour des tout-petits?

Ok, les règles…ont changé!

Il faut se laver les mains, comme d’habitude mais…tout le temps! En arrivant, avant, après le repas, le passage aux toilettes, après avoir toussé, après s’être mouché, après avoir joué, avant de partir!  Les enfants n’ont pas le droit d’être en contact.. Et si l’un d’entre eux a de la fièvre, il se retrouvera masqué et isolé dans une autre pièce!

• Dans la cour de récréation

Enfin un peu de liberté? Euh non en fait. Les jeux de ballon sont interdits, le matériel sportif aussi. Pas question donc de sortir les trottinettes…Les enfants doivent rester à distance…Des carrés sont tracés au sol…les enfants ne peuvent en sortir!

• Le repas

Il sera pris dans la classe, sûrement tiré du sac. Ce n’est plus un moment convivial d’échanges, de rires ; on est loin du repas bruyant de la cantine. Là aussi, c’est chacun dans son coin ou à la cantine, mais loin les uns des autres.

• Les apprentissages

Il n’y aura pas de nouvelle notion ; on reverra des choses qu’on connait déjà…enfin si la maîtresse a le temps. Parce que du coup elle risque vite de se transformer en agent de polie…sanitaire! Veiller au respect des mesures de distanciation, vérifier le lavage des mains, désinfecter le matériel…ca risque bien de devenir son quotidien. Mais surtout, à l’école, les élèves, surtout les plus petits, n’apprennent pas en faisant des batteries d’exercices : ils interagissent, ils manipulent, ils partagent… Et il faudra en plus qu’elle trouve du temps pour préparer le travail de ceux qui font l’école à la maison…

• La reprise progressive 

Attention aux parents qui pensent retourner au travail dès lundi 11…l’école ne recommencera pas ce jour là. Toutes les classes ne reprendront pas ce jour-là ; et celles qui reviendront n’auront pas cours tous les jours. Il va donc falloir s’organiser pour trouver des modes de garde, des arrangements avec les employeurs… Je pense que ça va être un vrai cauchemar.

Conclusion

Pour moi, il faut savoir que la reprise impose qu’ on enlève de cette vie en collectivité justement tout le collectif. On enlève de la maternelle son essence même. Avant, dans notre école, on apprenait à vivre ensemble ; maintenant on devra apprendre à vivre à côté les uns des autres. Plus de coin regroupement , plus de comptines, de rondes…plus de petits groupes, plus d’échanges, plus de manipulation, de jeux…

Si j’ai décidé d’écrire cet article, c’est pour être honnête avec les familles. Avec ce qui nous est demandé, chaque directeur, maire ou enseignant qui assurera respecter toutes ces données est soit extrêmement courageux, soit complètement fou. Pour moi, ce n’est tout simplement pas possible. Ne nous leurrons pas, ne vous leurrez pas.

Je pense que nos enfants ont déjà été perturbés par la situation. Ils savent le danger que représente la maladie. Ils connaissent les raisons du confinement que nous avons respecté (ils ne sont pas sortis de la maison, nous uniquement pour les courses ou le boulot pour moi). Donc évidemment ils sont inquiets aussi lorsqu’on leur parle de sortir à nouveau. Même en répondant à leurs questions, on les sent anxieux!

Alors vous allez me demandez ce que je déciderai pour mes propres enfants? Je ne le sais pas encore… Ce qui est certain c’est que je suis persuadée qu’un retour à l’école dans ces conditions est plus traumatisante et perturbante qu’une fin d’année en confinement. Même si ce n’est pas toujours facile de tout assurer à la maison et de trouver une organisation pertinente pour les bien être de toute la famille. Si nous trouvons une autre solution, oui, je suis prête à laisser mes enfants dans leur cocon. A prendre le temps de leur expliquer pourquoi, et de les préparer aux changements pour septembre. Et s’il le faut, j’irai assurer à l’école, mais je ne pourrais pas garantir le risque zéro de contagion, parce que je ne réussirai jamais à respecter toutes les règles de ce protocole. Et d’ailleurs qui sera responsable en cas de maladie?

Ce soir je suis triste. Triste de voir ce métier que j’aime tant soumis à tant de règles, triste de savoir dans quelles conditions les tout petits (et les plus grands) seront désormais accueillis. Triste de voir cette école maternelle malmenée ainsi.

Je ne prends pas les décisions, je ne suis pas médecin, ni politique. Je ne sais pas combien de temps durera cette situation… Je te parle de ce que je connais : l’école maternelle.

Et pour moi, elle ne peut continuer à exister dans ces conditions.

Je sais pourtant qu’il faudra la réinventer. Que cela prendra du temps. Pour moi, il faut voir à plus long terme…prendre le temps de la concertation, trouver des aménagements pour s’adapter intelligemment et dans le respect du bien être de chacun. On ne fera rien de bien dans la précipitation.

C’est cette mission qui nous attend, nous enseignants, équipes pédagogiques, parents.

Un vrai défi à relever ; et je suis prête.

Si tu savais comme mes élèves et ma classe me manquent…

N’hésite pas à me faire part de ton ressenti, avis de parent, enseignant?!

Pour être tout à fait transparente (et tous les parents devraient le lire) : Document de protocole à consulter… mis à jour aujourd’hui avec une nouvelle version (youhou on a gagné 4 pages!)